[TRIBUNE] DSP3 : tirer les leçons de la DSP2 pour mieux déployer l’open banking en Europe

Par Alexandra Chiaramonti, VP & General Manager EMEA de GoCardless

 

La récente proposition de la Commission européenne pour la 3ème Directive sur les services de paiement (DSP3) offre une occasion intéressante de revenir sur la mise en œuvre de sa prédécesseure au Royaume-Uni et dans l’Union Européenne. Une façon de contraster deux approches et de tirer des enseignements qui pourraient s’avérer utiles : à la fois pour réussir le déploiement de la DSP3 et, plus largement, contribuer à une accélération de l’open banking au bénéfice des consommateurs, des entreprises et des acteurs de la filière.

 

L’histoire de deux mises en œuvre

La DSP2 a été un texte législatif précurseur. Elle a introduit l’idée d’ouvrir les données des comptes bancaires aux fournisseurs tiers (Third-Party Providers, TPP) afin de favoriser la concurrence et d’encourager l’innovation pour, in fine, être bénéfique aux entreprises et aux consommateurs. Si l’open banking est aujourd’hui relativement bien connu dans les milieux du paiement et des fintech, il s’agissait d’un concept entièrement nouveau en Europe lorsqu’il a été proposé pour la première fois il y a dix ans.

 

Le Royaume-Uni faisant encore partie de l’UE à l’époque, il a suivi l’évolution de la DSP2 et a été obligé de se conformer à la directive sur les services bancaires. Toutefois, le gouvernement britannique envisageait depuis un certain temps déjà d’aller au-delà de la DSP2, ayant commandé dès 2014 un rapport indépendant sur le partage et l’ouverture des données pour les banques. Certains des concepts de ce rapport ont ainsi été repris par l’Autorité de la concurrence et des marchés (Competition and Markets Authority, CMA) lorsque, en 2017, elle a ordonné aux neuf plus grandes banques de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de piloter le déploiement de l’open banking, allant ainsi bien au-delà de la législation européenne qui devait entrer en vigueur l’année suivante. Ces mesures comprenaient la création et le financement d’une entité responsable de la mise en œuvre de l’open banking (Open Banking Implementation Entity, OBIE) chargée d’établir des normes et des orientations sectorielles pour les interfaces dédiées (les API), afin que les consommateurs puissent bénéficier d’une expérience open banking sûre et cohérente.

 

Cela a conduit à une plus grande normalisation de tous les aspects techniques et d’infrastructure de paiement, entraînant, par ailleurs, une réduction des barrières à l’entrée et un accès plus cohérent aux données bancaires. Les TPP ont ainsi pu se concentrer davantage sur l’innovation et sur la croissance du marché de l’open banking. C’est ce qui peut également expliquer – du moins en partie – pourquoi le Royaume-Uni a vu émerger plus de fournisseurs d’open banking que tout autre pays européen : aujourd’hui, il sont au nombre de 221 réglementés outre-Manche, contre 166 en Allemagne, pays le plus performant d’Europe continentale, et 150 en France.*

 

En outre, le fait que les dirigeants de l’OBIE aient favorisé un dialogue constant entre les décideurs politiques, les régulateurs, les banques, les TPP et d’autres parties prenantes de l’écosystème a également permis à l’open banking de rester un sujet prioritaire dans l’agenda politique, de même qu’il a permis à tous les acteurs, même les plus petits, de faire entendre leur voix. A l’avenir, il ne fait aucun doute que la « Future Open Banking Entity » qui remplacera l’OBIE continuera de jouer un rôle important de porte-drapeau et de rassembleur.

 

De leur côté, en Europe, plusieurs organismes, comme le Groupe de Berlin, ont également cherché à introduire une norme technologique pour la DSP2. Le résultat a été une série de spécifications différentes ouvertes à interprétation, ce qui signifie que les API des banques différaient même lorsqu’elles suivaient ostensiblement la même norme. Plus fondamentalement encore, la manière dont chaque État membre de l’UE a interprété, mis en œuvre et appliqué la DSP2 a varié. En conséquence, l’expérience de l’open banking a semblé, et semble toujours plus décousue et moins conviviale pour les utilisateurs en Europe qu’au Royaume-Uni.

 

Harmoniser et collaborer pour mieux préparer l’avenir

Que pouvons-nous apprendre de ces deux parcours ? Tout d’abord, que le meilleur moyen de promouvoir l’usage et l’adoption de l’open banking est d’offrir une expérience client qui soit cohérente et de confiance. Ni le Royaume-Uni ni l’UE n’ont encore trouvé la solution, mais il est clair que la réglementation est essentielle pour créer les normes et l’infrastructure qui constituent les fondements de l’open banking. Cependant, pour qu’un cadre véritablement durable émerge, il est probable que cette « base » réglementaire devra également être renforcée d’incitations commerciales pour tous les acteurs de la filière. C’est exactement ce que les travaux du Joint Regulatory Oversight Committee (JROC) sur la prochaine phase de l’open banking au Royaume-Uni et les propositions de la Commission européenne explorent actuellement.

 

Deuxièmement, la collaboration est vitale. Ce n’est que lorsque les décideurs politiques, les régulateurs, la filière et toutes les parties prenantes se réunissent et placent l’expérience client au centre de la discussion que des solutions réalistes peuvent être  trouvées et mises en œuvre.

 

À l’avenir, il sera intéressant de voir les deux marchés renforcer leurs stratégies initiales plutôt que de changer de cap. Ainsi au Royaume-Uni, les recommandations du JROC fixent des objectifs, des délais et le processus selon lequel les parties prenantes de l’écosystème doivent travailler ensemble pour résoudre les détails. Elles soulignent également l’engagement du Royaume-Uni en faveur d’un organisme central opérant au cœur du cadre réglementaire à long terme pour l’open banking. De son côté, la Commission européenne cherche à obtenir des résultats similaires en renforçant la réglementation et en imposant une plus grande harmonisation dans sa mise en œuvre. Toutefois, la DSP3 et le nouveau règlement sur les services de paiement ne sont pour l’instant que des propositions ; il reste encore beaucoup de travail politique à accomplir avant qu’ils ne deviennent des lois.

 

Rome ne s’est pas faite en un jour

L’open banking n’en est qu’à ses débuts et le chemin pour y parvenir jusqu’ici n’a pas été facile. Mais l’introduction de la DSP3 est l’occasion idéale de nous rappeler ce vers quoi nous tendons : plus d’innovation et de concurrence dans un écosystème financier dynamique et prospère. Plus de sécurité, de contrôle et de simplicité pour les utilisateurs de l’open banking, qu’il s’agisse de particuliers ou d’entreprises. Et plus de nouvelles opportunités pour les commerçants, qu’il s’agisse de méthodes de paiement moins coûteuses ou d’un meilleur accès au financement.

 

C’est un défi, mais nous pensons que le jeu en vaut la chandelle. Et en tirant les leçons de la DSP2, nous pouvons mieux nous positionner pour y parvenir.

 

*https://www.statista.com/statistics/1214254/number-of-open-banking-third-party-registrations-in-europe-by-country/

 

Cette tribune a été écrite de manière exclusive pour le JDN. Merci pour cette opportunité de prise de parole !

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